Avant de continuer cet article, je mets en garde le lecteur : Les développements ci-dessous font état de mes réflexions sur le sujet à l’instant où j’écris ces lignes. Elles sont basées sur de longues recherches bibliographiques mais ne sauraient être exhaustives ni prises comme vérité absolue. Ces réflexions ont pour objectif de dégager, je l’espère, des pistes de travail vouées à être testées à l’entrainement.
2- Comment optimiser le temps de parcours de ma boucle OODA
Si nous analysons un peu plus en détail la boucle OODA, nous nous apercevrons que les phases Observer et Agir relèvent d’interactions avec l’environnement extérieur alors que les phases Orienter et Décider sont plutôt de l’ordre du dialogue intérieur.
Grande
Observons chaque phase de la boucle afin d’en retirer les freins et les opportunités.
2.1. OBSERVER :
Lors de la phase d'Observation, nos sens captent les informations issues de notre environnement. Puis notre cerveau tri les informations qu'il juge pertinentes pour l'action en cours. C'est le phénomène de filtre attentionnel. En effet, notre environnement nous envoie une infinité de stimuli (température, luminosité, mouvements, texture, bruits de tous niveaux, vent...) qu'il nous est impossible de capter et analyser dans leur totalité. Notre cerveau opère donc inconsciemment un tri dans les informations captées par nos sens et reconstitue une représentation schématique (et donc imparfaite) de notre environnement et de la situation. Notre capacité à analyser une situation dépendra donc des informations jugées utiles par notre cerveau. Deux compétences interviennent donc de manière pré-pondérantes dans cette phase d'Observation:
- La connaissance des mécanismes de la violence et de ses signes précurseurs permet d'anticiper les risques auxquels nous sommes exposés en fonction du lieu où nous sommes, de l'heure et de l'activité que nous pratiquons. Elle permet en outre à notre cerveau d’être plus pertinent quant aux signes à relever.
- Adopter le niveau de vigilance approprié nous permet de faire remonter vers notre conscience des signes qui seraient restés d'ordinaire au niveau de notre inconscient (en une sorte de malaise)
Optimiser sa stratégie de prise d’informations :
En plus des connaissances théoriques (pré-requis, à mon avis, indispensable à toute démarche de protection personnelle) sur les mécanismes de violence, voici quelques exercices permettant d'améliorer nos capacités de détection des signes annonciateurs de violence:
- Visionnage et analyse de vidéos
- Observation des gens dans la rue (observer leur démarche, leur langage corporel, leur regard...)
- Observation de l'environnement et essayer d'imaginer des lieux susceptibles d'offrir une cachette à un éventuel agresseur (permet d'aiguiser les sens et la conscience de l'environnement)
- Exercice du clignement d'œil: Fermer les yeux. Un ou plusieurs collègues miment une scène devant vous. Ouvrez les yeux le temps d'un clignement d'œil et refermez-les puis décrivez la scène le plus précisément possible en insistant sur les menaces perçues.
2.2. ORIENTER :
La reconnaissance de la situation :
Accélérer la phase de diagnostic (une opportunité)
Si la pertinence du filtre attentionnel (c'est-à-dire la pertinence des indices retenus) augmente avec l’expérience de l’individu [4], le nombre d’indices nécessaires à déduire l’issue de la situation diminue. Le diagnostic en devient donc non seulement plus fiable mais également plus rapide.
Si rien ne remplace la véritable expérience, le travail en scénarii (à condition que les scénarii étudiés soient réalistes) et le visionnage de vidéos permet d’ancrer un certain nombre de situations de référence (sorte d’expérience par procuration) auxquelles le cerveau peut se raccrocher pour sélectionner une réponse adaptée. Il n’est plus dans l’obligation d’élaborer une réponse originale de toutes pièces (beaucoup trop longue à élaborer) mais se base sur des stratégies ayant déjà fait leurs preuves dans d’autres situations.
Le Déni (un frein)
Lorsque nous sommes confrontés à un évènement dépassant notre entendement ou contraire à notre système de valeurs ou croyances, notre cerveau a tendance à ignorer, voir refuser l’évènement en question [5]. C’est ce qu’on nomme la phase de déni. Elle se traduit par un refus d’accepter la réalité et des pensées du type « ce n’est pas vrai, cela ne peut pas m’arriver », « je dois être en train de rêver »… Rory Miller explique que la très grande majorité des gens est sujet à cette phase de déni qui, selon les personnes, dure d’une fraction de secondes à plusieurs minutes, voir beaucoup plus en cas de choc post traumatique [1].
Quels outils avons-nous à notre disposition afin de minimiser cette phase de Déni ?
Le premier outil qui me vient à l’esprit est d’accepter que la violence fait partie de notre monde et que cela n’arrive pas qu’aux autres. Cela suppose également d’accepter que cette violence fait partie de nous et que nous pouvons y avoir recours pour défendre notre vie.
En deuxième lieu, notre cerveau est programmé pour répondre à la question « POURQUOI ? ». Pourquoi me font-ils cela ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ?... Il faut accepter que nous ne trouverons pas forcément de justification logique à cette violence dirigée vers notre personne. Cela ne signifie pas que cette justification n’existe pas aux yeux de mon agresseur mais simplement qu’elle ne cadre pas avec mon système de valeurs ou croyances. De toute façon, une fois les hostilités engagées, l’instant sera très mal choisi pour se poser ce genre de question. Il faudra réagir et vite !
L’estimation des différentes options de réaction :
Elaborer des grilles de lecture situationnelle (une opportunité)
Une piste pour optimiser la phase d’orientation serait de proposer une grille de lecture des situations en fonction d’un certain nombre de critères génériques (applicables à la grande majorité des situations) et choisis judicieusement pour faciliter l’orientation de la réponse à mettre en place. En effet, si chaque situation est unique de par l’infinité des paramètres qui la définissent, je pense qu’il est possible de dégager certains traits facilement analysables et communs à bon nombre de situations.
Exemple : si je ne suis pas accompagné et en espace ouvert, la solution de repli est à priori une bonne stratégie pour préserver mon intégrité physique. En espace clos, cette stratégie n’est plus applicable. Il n’est donc plus nécessaire de passer ne serait-ce qu’une fraction de seconde à analyser cette option.
2.3. DECIDER :
Réduire le champ des possibles :
Le temps de prise de décision augmente avec le nombre de possibilités qui s’offrent moi (loi de Hicks). Toute disposition limitant le nombre d’options diminuera donc mon temps de prise de décision. Cependant, mettre en place une stratégie n’offrant qu’une unique option est suicidaire car aucune stratégie n’est infaillible. Il s’agira donc de trouver le juste milieu.
Mettre en place des procédures génériques (opportunité)
En ce sens, la mise en place de « procédures génériques » en fonction de la grille de lecture situationnelle (évoquée dans le paragraphe précédent) permet de limiter grandement le champ des réponses possibles à une situation donnée. La procédure devra être suffisamment générique et laisser suffisamment de liberté au défenseur pour lui permettre de l’adapter aux spécificités de la situation.
Par exemple, une grille de lecture situationnelle se basant sur des critères purement stratégiques me permettant de faire un choix entre une stratégie de fuite ou d’attaque préemptive sans m’obliger à réaliser une analyse fine de la situation me ferait gagner un temps considérable dans ma phase d’Orientation / Décision. La liberté qu’il me reste au sein de la procédure définie réside dans la mise en œuvre pratique de cette procédure (type d’attaque préemptive, voie de repli choisie…).
L’inhibition à l’attaque (frein)
L’inhibition à l’attaque est un mécanisme de protection de l’espèce empêchant ou limitant les probabilités d’affrontements mortels entre congénères. Pour l’espèce humaine, cette inhibition naturelle est renforcée par notre éducation et les règles morales de vie en société. Ces règles étant encore plus marquées dans nos sociétés aseptisées. Il en résulte que la grande majorité des personnes éprouvent une forte répulsion à l’idée d’occasionner des dommages physiques à un autre être humain. Ce mécanisme est à l’origine de nombreuses hésitations, augmentant au mieux notre temps de réaction, et annihilant, au pire, notre capacité de réaction en conduisant au phénomène de sidération.
En cas d’agression, il est primordial de se donner les moyens de passer outre cette barrière psychologique.
Les drills de déverrouillages offensifs [6] tels que les assauts sans retenue sur boucliers ou assauts à thème (sans retenue et avec protection) sont d’excellents moyens de ressentir les effets libérateurs du passage à l’action et nous pousser à agir pour notre survie.
Une autre méthode consisterait à associer le premier mouvement de la riposte avec un mot ou une phrase de notre choix [5]. Lors de l’entrainement, nous devons évoquer ce mot dans notre tête avant chaque attaque lancée à notre partenaire. L’idée est de conditionner notre corps à attaquer à l’évocation de ce mot en pensée. Cette « astuce » permettrait de « faciliter » la libération de notre agressivité.
2.4. AGIR :
Je propose d’étudier cette phase d’action sous l’angle du combat. Ce qui est bien évidemment réducteur car toute action d’anticipation (quitter les lieux, demander de l’aide…) ou de négociation mériterait d’être approfondie. J’avoue cependant que sur ce coup là, je suis un peu sec…
Analysons donc l’action en tant qu’action de combat :
Choix des techniques d’affrontement :
La répétition des techniques est bien évidemment indispensable pour qu’elles soient intégrées dans la mémoire neuromusculaire et se substituent aux réflexes innés. Le travail en drills présente d’excellents résultats.
Néanmoins, en état de stress intense, les mouvements acquis par l’apprentissage ont tendance à s’évaporer pour laisser place au naturel (cad aux réflexes innés) s’ils ne sont pas suffisamment intégrés à la mémoire neuromusculaire. La pire situation qu’on puisse rencontrer se présente quand l’apprentissage est suffisamment avancé pour commencer à effacer les réflexes innés sans les avoir complètement remplacés par les techniques apprises. On se trouve alors face à ce que j’appelle un « conflit de versions » dans les réponses physiques à apporter à l’agression.
Pour limiter ce phénomène, les techniques de self-défense doivent être conçues pour rester le plus proche possible des réflexes innés.
En outre, la science a montré que la taille de la cible influence le temps de mouvement [2].En d’autres termes, plus la cible est petite, plus mon mouvement sera lent. Nous ne pouvons pas influencer la taille ou le gabarit de notre adversaire. Cependant, le choix des cibles à attaquer a son importance. Si elles doivent être vulnérables (afin de garantir une certaine efficacité à l’attaque), elles ne doivent cependant pas être trop petites sous peine d’augmenter le temps moteur. Le corolaire de ce constat est que les techniques sélectionnées doivent permettre une certaine imprécision dans leur exécution sans perdre la totalité de leur efficacité.
Enfin, toujours en se fiant à la fameuse loi de Hicks, sachant qu’un trop grand nombre d’options augmente de manière drastique le temps de réaction, il convient de limiter le nombre de techniques étudiées pour une même situation. Le corollaire étant que chaque technique soit le plus polyvalence possible afin de couvrir un maximum de situations.
Perturber la boucle adverse:
Voici quelques pistes qui me semblent être de nature à perturber la capacité d’analyse de l’agresseur et diminuer sa capacité d’adaptation.
Il est primordial de masquer nos intentions à notre agresseur (ne pas lui dévoiler notre volonté de nous défendre ou notre potentiel combattif). Lui envoyer des stimuli ne reflétant pas la réalité amène l’agresseur à prendre les mauvaises décisions, à abaisser sa vigilance. Une fois notre véritable réaction enclenchée, son temps de compréhension (observation / orientation) de celle-ci sera d’autant plus long que les informations perçues sont incohérentes avec la réaction attendue de sa victime.
Une attitude incohérente (simuler la folie par exemple ou formuler une question totalement hors contexte) envoie des signaux contradictoires et sans lien avec la situation, forçant l’agresseur à réévaluer celle-ci. Ce stratagème force donc l’agresseur à réinitialiser sa boucle décisionnelle et me confère un temps d’avance me permettant de reprendre l’initiative.
La frappe préemptive est également un excellent moyen de perturber le schéma préétabli de l’agresseur. Celle-ci devra être soudaine, sans signe préalable et décisive de manière à mettre fin à la menace, ou à minima, m’ouvrir une brèche suffisamment grande pour fuir.
Bibliographie :
[1] « Rory Miller on Freezing »http://www.nononsenseselfdefense.com/FreezeRORY.htm
[2] « LE TRAITEMENT DE L'INFORMATION D'UN POINT DE VUE COGNITIF », Le 02 Octobre 1998, {Licence STAPS 98-99. C1-M2. Cours de Nicolas BENGUIGUI}
[3] « Boyd’s O.O.D.A Loop and How We Use It » https://tacticalresponse.com/blogs/library/18649427-boyd-s-o-o-d-a-loop-and-how-we-use-it
[4] « La pression temporelle dans les environnements dynamiques : le cas de la conduite automobile », Stéphanie Coeugnet , thèse de doctorat en Psychologie
[5] Neurocombat Livre 2 - Stratégie et communication pour la violence de rue, de Christophe Jacquemart, éditions Fusion Froide
[6] Neurocombat Livre 1 - Psychologie de la violence de rue et du combat rapproché